Les centres de traitement de la douleur s’intéressent de plus en plus aux spécificités de la prise en charge de l’endométriose. Lors d’une soirée organisée par le Comité de Lutte contre la Douleur (CLUD) au CHL, sur le thème « Femmes et douleurs », le Dr Patrick Kieffert, algologue et responsable de la structure douleur chronique au CHR Metz-Thionville, récemment labellisée pour la prise en charge de l’endométriose, a partagé son expertise sur la gestion des douleurs chroniques liées à cette pathologie.
L’endométriose, qu’est-ce que c’est ?
L’endométriose est une maladie gynécologique caractérisée par la présence de tissus similaires à la muqueuse utérine (endomètre) en dehors de l’utérus. Cette affection peut toucher divers organes, notamment les ovaires, les trompes, la cloison recto-vaginale, la surface péritonéale, voire au-delà. Elle se manifeste souvent par des douleurs intenses, particulièrement pendant les règles, pouvant parfois devenir invalidantes. Cependant, dans certains cas, la maladie demeure asymptomatique, rendant son diagnostic plus complexe.
Causes possibles
L'une des hypothèses les plus fréquemment citées pour expliquer l'endométriose est celle du reflux menstruel : le sang menstruel s'écoulerait dans la cavité pelvienne, et se déposerait sur les organes génitaux internes notamment. Toutefois, d'autres théories sont également envisagées, telles que : une prédisposition génétique, un dysfonctionnement du système immunitaire, une métaplasie, une variante anatomique, ou encore des facteurs environnementaux, comme l'exposition à des perturbateurs endocriniens, PCB (polychlorobiphényles) ou autres polluants.
Les douleurs menstruelles : un premier signal d’alerte de l’endométriose
Le premier symptôme souvent associé à l’endométriose est la douleur liée au cycle menstruel. Ces douleurs, influencées par les variations hormonales, jouent un rôle clé dans l’orientation du diagnostic.
Parmi les manifestations douloureuses typiques, on peut citer :
- Des douleurs menstruelles intenses : elles résistent fréquemment aux traitements antalgiques classiques et peuvent entraîner un absentéisme scolaire ou professionnel.
- Des douleurs pelviennes chroniques : présentes même en dehors des règles, elles deviennent un inconfort constant pour les personnes atteintes.
- Des douleurs lors des rapports sexuels (dyspareunie).
- Des troubles digestifs et urinaires : constipation, ballonnements, douleurs abdominales et difficulté à uriner.
- Des troubles de la fertilité, souvent liés aux lésions causées par la maladie. Ils touchent 40% des femmes concernées par l’endométriose.
Dans certains cas, des douleurs extrapelviennes (en dehors de la région pelvienne) peuvent également apparaître durant la période des règles. Souvent liées à une compression nerveuse provoquée par les contractures musculaires pelviennes, elles peuvent se manifester sous diverses formes : sciatalgies, douleurs dorsales ou encore douleurs dans les membres inférieurs.
Le Dr Kieffert explique : « Environ 70 % des femmes atteintes d’endométriose souffrent de douleurs chroniques. Ces douleurs, liées à une hypersensibilité pelvienne, résultent de mécanismes complexes impliquant notamment des processus inflammatoires et neurogènes. On estime qu’1 femme sur 10, en âge de procréer, est touchée par cette maladie. En France, le délai moyen pour obtenir un diagnostic est de 7 ans, ce qui entraîne une errance médicale et une souffrance prolongée. Cette longue attente favorise le développement de la douleur chronique, indépendamment même de la maladie elle-même. »
Il ajoute : « À ce jour, il n’existe pas de traitement curatif de l’endométriose. Cependant, en tant qu’algologues, nous mettons tout en œuvre pour soulager les douleurs de nos patientes afin d’améliorer leur qualité de vie, un objectif essentiel tout au long de leur prise en charge, et ce, en plaçant la patiente au centre du projet de soins pour qu’elle en devienne l’actrice principale. »
Traitements et prises en charge
L'endométriose est une maladie chronique complexe qui nécessite une prise en charge pluridisciplinaire et multimodale. Dans les centres spécialisés dans la gestion de la douleur, cette prise en charge se base sur une approche globale et individualisée, adaptée aux besoins spécifiques de chaque patiente :
1. Traitement médical initial
Le traitement hormonal est souvent la première étape, jouant un rôle essentiel dans la gestion des symptômes.
2. Traitement des crises
Pour gérer les épisodes de douleur aiguë, différents types d’antalgiques sont utilisés :
- Pallier 1 : paracétamol, Nefopam, AINS (anti-inflammatoires non stéroïdiens). Ces traitements sont efficaces à court terme, mais leur usage prolongé n’est pas recommandé pour les AINS.
- Pallier 2 : codéine, tramadol, association paracétamol-poudre d’opium. Leur prescription doit être aussi courte que possible pour éviter les risques de dépendance.
- Pallier 3 : opioïdes forts. Ces médicaments sont réservés aux douleurs aiguës d’intensité sévère et doivent également être utilisés sur une durée limitée, dans le cadre d’une prise en charge spécialisée en structure douleur chronique.
3. Traitements de fond
Pour stabiliser la douleur chronique, des traitements de fond peuvent être prescrits :
- Médicaments utilisés : Gabapentine, amitriptyline, duloxétine…
- Autres traitements spécifiques : antispasmodiques, traitements de la constipation, etc.
- Approches nutritionnelles : des ajustements alimentaires, comme la réduction de la consommation de sucre, peuvent contribuer à diminuer l’inflammation et à améliorer les symptômes.
4. Thérapies alternatives
Certaines approches peuvent compléter les traitements médicaux pour offrir un soulagement supplémentaire :
- la neurostimulation transcutanée externe (TENS),
- le sport et les activités physiques adaptées (yoga, Pilates…),
- l’hypnose et la thérapie EMDR,
- la consultation avec un sexologue,
- la chirurgie (pour le traitement des formes sévères),
- la consultation en fertilité,
- la prise en charge socio-professionnelle,
- l’acupuncture,
- l’ostéopathie,
- la kinésithérapie spécialisée.
Les patients concernés peuvent être pris en charge à la Pain Clinic du CHL, où les mêmes alternatives sont proposées. Un simple courrier d'adressage de la part d’un gynécologue ou du médecin traitant est suffisant.